Prise de position du 31 mars 2016 de l’AROPI concernant le projet de révision de la loi sur le droit d’auteur (LDA), adressée à Madame la Conseillère Fédérale Simonetta Sommaruga

Chère Madame la Conseillère fédérale,

L’AROPI – l’Association Romande de Propriété Intellectuelle – regroupe plus de deux tiers des professionnels du métier localisés en Suisse Romande. Elle regroupe notamment des ingénieurs brevets, des juristes, des conseils en marques, et des avocats dont la profession est de protéger les titulaires contre toute violation de leurs droits.

Comme rappelé dans le rapport explicatif, les modifications proposées de la LDA visent un juste équilibre entre les intérêts multiples et variés des artistes, de l’économie culturelle, des utilisateurs d’œuvres protégées par le droit d’auteur et des consommateurs en général. Il est effectivement nécessaire que notre droit se modernise au regard de l’évolution des nouvelles technologies.

Par modernisation, nous entendons la mise en place de solutions qui puissent être non seulement novatrices, mais aussi pérennes, pour protéger les auteurs et les consommateurs ; c’est pourquoi l’AROPI a décidé de communiquer au Département fédéral de justice et police (DFJP) une prise de position commune sur le projet de révision de la loi sur le droit d’auteur (P-LDA).

Vous trouverez ci-dessous nos commentaires sur les nouveaux articles proposés dans ce projet.

 

 1. Art. 13, titre et al. 1 et 2 – Location et prêt d’exemplaires d’une œuvre

Nous ne sommes pas favorables à ce nouvel article.

Nous estimons que la rédaction de cet article est beaucoup trop large, tant sur les actions visées : « loue, prête ou, de quelque autre manière, met à disposition » que sur les acteurs concernés par cette nouvelle rémunération.  Dans sa rédaction actuelle ce texte pourrait conduire à des excès pénalisant pour les bibliothèques, les musées, l’enseignement et la diffusion de la culture dans notre pays.

 2. Art. 37a – Droits de la personne qui réalise une photographie de presse

Nous ne sommes pas favorables à ce nouvel article.

Le morcellement du droit d’auteur concernant les images nous apparaît inadapté au but recherché, à savoir la protection des photographes. Par ailleurs, la rédaction de cet article est beaucoup trop vague et conduit à une insécurité juridique, notamment en ce qui concerne :

– La définition de la photographie de presse ;

– La durée de la protection : « aussi longtemps qu’elle présente un intérêt pour le compte rendu d’actualité ».

3. Art. 62a et 62 ss P-LDA – Lutte contre le piratage sur Internet

Nous demandons que ces articles soient modifiés et adaptés aux besoins des titulaires de droits lésés.

Les conditions pour permettre aux titulaires de droit lésés de demander au tribunal que celui-ci ordonne au fournisseur de services de télécommunication d’identifier les usagers dont la connexion a été utilisée pour commettre l’infraction, nous apparaissent beaucoup trop limitées pour permettre une action rapide nécessaire du titulaire de droits lésés.

L’auteur lésé doit pouvoir garder la possibilité d’agir immédiatement contre un usager en fonction de l’atteinte. Dans la mesure où l’auteur doit présenter une requête au tribunal, il paraît assuré que de telles demandes d’identification immédiate des usagers interviendront lorsque sont réalisées les conditions de nécessité et rapidité d’une action, ce dont le juge pourra décider. Ces demandes devraient pouvoir être accueillies lorsque le titulaire lésé rend tout simplement « vraisemblable l’atteinte à son droit d’auteur ». Quant à la gravité de l’atteinte, celle-ci existe par le simple fait de la mise à disposition non autorisée sur le réseau d’une œuvre protégée, dont la propagation sur Internet est souvent irréversible.

– Al.1 – Le terme « grave » est beaucoup trop vague et pourrait être sujet à de trop nombreuses interprétations, même au regard de la définition proposée en al. 4. Par ailleurs, en matière d’atteinte au droit d’auteur et tout particulièrement sur Internet ou la diffusion d’une œuvre est très rapide, il est nécessaire de permettre à l’auteur lésé de pouvoir agir dès le début de l’atteinte. Le terme « grave » doit être retiré du texte. Et l’al. 4 doit être supprimé également. Toute atteinte rendue vraisemblable par le titulaire du droit d’auteur doit permettre au lésé de saisir le tribunalpour obtenir l’identification de l’usager.

– Al.2 – Dans la mesure où sur les réseaux informatiques il n’est pas toujours aisé d’identifier les usagers, l’expression « l’identité des usagers » devrait être remplacée par : « toutes les données en sa possession pour identifier l’identité des usagers ».

Concernant les conditions :

  • a. 1. – Le terme « grave » doit être retiré du texte là aussi (voir ci-dessus  Al.1)
  • a. 2. – La condition portant sur le seul « réseau pair à pair », nous apparaît beaucoup trop limitative et pourrait rendre le texte obsolète très rapidement au regard des développements technologiques. Il faut envisager tous les réseaux.
  • a. 3. – La condition prévue « que l’usager a reçu deux messages d’information », nous apparaît beaucoup trop limitative. La personne subissant la violation doit pouvoir agir à tout moment et non subir le temps imposé par l’usager dans la répétition de ses violations. Nous recommandons la suppression de cette condition.
  • b. – La condition selon laquelle « que le fournisseur de services de télécommunication dispose de données qui permettent encore une identification des usagers », doit être supprimée si l’on modifie l’al.2 comme proposé ci-dessus.

– Al. 3 – Il est tout à fait injuste et inadéquat que le titulaire lésé doive verser une indemnité équitable au fournisseur de services de télécommunication pour les coûts occasionnés par l’identification. Des solutions de financement de ces coûts doivent être envisagés sérieusement et en priorité par le législateur.

– Al. 4 – A supprimer (voir Al.1 ci-dessus)

 

 4. Chapitre 1a: Obligations des fournisseurs de services de télécommunication et des fournisseurs de services de communication dérivés

Nous demandons que ce chapitre soit modifié et adapté aux besoins des titulaires de droits lésés. En effet, il convient notamment de traiter de ces questions non avec la différenciation stricte fournisseur de services d’accès contre fournisseur de contenu, comme cela apparaît dans le projet actuel. Aujourd’hui, les deux fonctions ne sont pas forcément indissociables, puisque de nombreux fournisseurs d’accès (hosting provider au sens large) peuvent parfaitement être fournisseur de contenu (ou d’une partie de contenu à tout le moins). Dans ce contexte, une approche englobant notamment les fournisseurs d’accès et les fournisseurs de contenu devrait être examinée (cf. notamment en ce sens la jurisprudence abondante en droit français relative à la distinction fournisseur d’accès et éditeur de site Internet). Une approche selon le degré d’implication de la personne fournisseur de services serait à envisager. Par ailleurs, il conviendrait d’englober dans la modification également tout type de réseau.

– Art. 66b P-LDA – Les nouvelles obligations des fournisseurs de services nous apparaissent tout à fait légitimes. Les conditions concernant le déblocage provisionnel (alinéa 3) doivent cependant être renforcées. Il n’est pas acceptable que la présentation d’une simple opposition soit suffisante pour permettre le déblocage jusqu’à droit connu. Le fournisseur devrait au minimum rendre vraisemblable dans son opposition qu’il ne viole aucun droit pour permettre le déblocage.

– Art. 66d-e -P-LDA –  Nous sommes satisfaits du nouveau rôle de l’IPI et de la procédure de blocage d’accès aux offres ainsi créées. Les conditions prévues nous apparaissent tout à fait adaptées et proportionnées aux besoins des auteurs lésés pour un résultat optimal.

Il serait à notre avis nécessaire d’encadrer le délai dans lequel un contenu est bloqué suite à la communication de la personne qui subit la violation de son droit d’auteur. Nous estimons qu’un délai maximum de 7 jours ouvrables serait tout à fait adapté.

Toutefois, nous nous opposons formellement à ce que le titulaire de droit lésé ait à participer aux coûts d’une manière aussi imprécise. Ceci aurait pour conséquence d’introduire un système de double préjudice pour les titulaires lésés. Comme indiqué précédemment, nous estimons que des solutions de financement de ces coûts doivent être envisagées sérieusement et en priorité par le législateur.

– L’envoi de messages prévus aux Art. 66g. et ss P-LDA à la demande du titulaire lésé est une solution inadaptée et coûteuse. Rappelons que l’atteinte existe dès que la première violation est constituée. Il ne serait donc y avoir de deuxième et de troisième chance « offerte » aux contrefacteurs ; tout particulièrement au regard des conséquences de la mise à disposition non autorisée d’une œuvre sur les réseaux. Par ailleurs, le titulaire de droit doit pouvoir garder la maîtrise du temps de ses actions en défense (voir nos commentaires concernant l’art 62a et ss P-LDA). Le système d’envoi de messages d’information doit être supprimé de la loi.

– Art. 66k P-LDA – Les modalités d’exclusion de responsabilité prévue par le P-LDA ne nous apparaissent pas prendre en compte la réalité d’un marché multiforme et protéiforme. Chaque fournisseur doit pouvoir engager sa responsabilité au regard de son degré d’implication.

CONCLUSIONS

En premier lieu, nous nous félicitons de l’intégration dans notre droit des traités de Beijing et Marrakech.

Ensuite, nous estimons que de bonnes propositions sont présentées dans ce projet afin de permettre aux auteurs la défense de leurs droits. Le nouveau rôle donné à l’IPI dans cette lutte nous apparaît tout à fait intéressant et prometteur. Toutefois il nous apparaît nécessaire d’améliorer encore la mise en œuvre de cette protection.

Les solutions d’avenir doivent à notre sens prendre en compte les éléments suivants :

– Les coûts : Il est tout à fait inacceptable que les personnes subissant la violation de leurs droits participent de manière aussi vague aux coûts comme envisagé par l’actuel P-LDA. Le projet instaure un système de double dommage pour les auteurs. Des solutions de financement de ces coûts doivent être envisagées sérieusement et en priorité par le législateur. Un système prenant en compte le degré d’implication des divers fournisseurs devrait être examiné. Il est en effet inimaginable de faire participer les titulaires de droits à des coûts internes aux fournisseurs, qui n’auraient ainsi aucun intérêt à éviter les atteintes ou leurs répétitions.

 La rapidité et la facilité d’action pour les titulaires de droits lésés : Une loi moderne doit permettre aux titulaires de droits lésés d’agir tout aussi rapidement que leurs contrefacteurs. Il ne fait pas de sens qu’un acte de piraterie puisse se faire à la vitesse des réseaux de manière quasi-instantanée et que la réponse de l’auteur lésé le soit au rythme de l’envoi de « messages ». Le système d’envoi de messages a déjà été éprouvé dans des pays voisins où il apparaît que le coût de tels envois est beaucoup trop élevé pour des résultats qui restent inconnus. Dans ce contexte, il convient d’englober tout type de réseau dans la modification législative.

En conclusion, notre association souhaiterait que le projet puisse être encore modifié et amélioré selon nos commentaires ci-dessus dans le sens d’une meilleure protection des auteurs.

Nous vous remercions de l’attention que vous porterez à notre courrier et à nos arguments dans la suite de votre projet. Nous restons bien entendu à votre disposition pour participer aux développements du droit d’auteur en Suisse et à la protection de tous les titulaires de droits de notre pays.

Nous vous prions de croire, Madame la Conseillère fédérale, à l’assurance de notre haute considération.

31.03.2016

Guillaume Fournier, Président

Marc-Christian Perronnet, Membre du comité directeur