par Laurent Muhlstein
1. La législation suisse accorde certaines prérogatives à l’Administration fédérale des douanes (AFD) ; sur la base des articles 70 à 72 LPM (la présente contribution vise plus particulièrement le droit des marques, mais l’AFD intervient également en matière de droit d’auteur, sur la base des articles 75 à 77 LDA, et de droit du design, sur la base des articles 46 à 49 LDes), l’AFD peut retenir des envois susceptibles de contenir produits munis de signes imitant ou contrefaisant des marques enregistrées (marques suisses ou marques internationales avec extension en Suisse) et en informer le titulaire desdites marques (mais pas le licencié, l’importateur général ou le représentant, sauf s’ils y sont explicitement autorisés par le titulaire), l’ayant droit à une indication de provenance ou une association professionnelle ou économique ayant qualité pour intenter une action en vertu de l’article 56 LPM, à condition que ces personnes en aient fait la demande documentée préalable. Sur la base d’une demande de ces personnes, l’AFD retient les objets dix jours ouvrables (article 72 al. 2 LPM), délai prolongeable une fois pour une même durée (article 72 al. 2bis LPM).
On relèvera que la LCMP (loi fédérale sur le contrôle des métaux précieux) prévoit également la possibilité pour l’AFD, représentée par le Bureau central du contrôle des métaux précieux à Berne, de retenir des produits suspects si ce dernier soupçonne qu’un poinçon de maître ou une marque de fondeur ou d’essayeur-juré ont été apposés indûment sur des marchandises importées, exportées ou en transit ou qu’ils ont été imités, ou qu’il y a violation des dispositions sur la protection de la propriété intellectuelle (article 22a LCMP) ; la LCMP ne prévoit toutefois pas de délai légal de rétention, mais, dans la pratique, le Bureau central retient les objets durant trente jours (ce qui équivaut au double délai prévu par l’article 72 LPM).
Le délai légal doit permettre au requérant d’obtenir des “mesures provisionnelles”. Il est important de souligner que le requérant ne doit pas se contenter de requérir lesdites mesures, mais doit bien les avoir obtenues avant l’échéance de ce délai légal. Il est donc important de requérir de telles mesures suffisamment à l’avance pour que l’autorité compétente puisse communiquer l’avis de saisie à l’AFD (ou au Bureau central) au plus tard le dernier jour du délai de rétention.
2. Il s’agit à présent de définir la notion de “mesures provisionnelles”, puisque la législation ne permet pas de déterminer s’il s’agit de mesures civiles et/ou pénales. Il est admis sans restriction par la doctrine qu’il peut s’agir d’une mesure provisionnelle ordonnée par le juge civil ou, tout aussi bien, d’une saisie ordonnée par le magistrat pénal. Il va de soi que, pour requérir des mesures provisionnelles civiles, il est nécessaire de connaître le nom du destinataire des produits retenus, faute de quoi l’assignation est nulle (à Genève, l’article 7 let. b de la loi de procédure civile dispose que l’assignation contient, à peine de nullité, le nom des parties). Or, tel ne sera pas le cas en particulier lorsque le destinataire des produits ne peut être localisé, rendant ainsi impossible la convocation à une audience civile.
3. Certains cantons admettent clairement la saisine alternative des juridictions civiles et pénales. Ainsi, une partie importante du trafic aérien de marchandises à destination de la Suisse aboutissant à l’aéroport de Zurich-Kloten, sis dans le district de Bülach, le parquet de ce district a ouvert une “succursale” (Zweigstelle Flughafen) à l’aéroport pour traiter les nombreux cas de retenues douanières qui se présentent audit aéroport ! En revanche, dans d’autres cantons, tels que Genève, les autorités pénales estimaient que les autorités civiles étaient plus à même de statuer sur la problématique de rétentions de produits illicites par l’AFD.
Ainsi, dans le cadre d’une rétention douanière réalisée dans ce canton le 3 août 2004, deux sociétés titulaires des marques imitées ou contrefaites ont déposé une plainte pénale contre l’importateur, du chef, notamment, des articles 155 CP (falsification de marchandises) et 61 al. 1 let. b LPM (violation du droit à la marque). Il convient de préciser ici que la violation de l’article 155 CP se poursuit d’office et ne nécessite de ce fait théoriquement pas le dépôt d’une plainte pénale. Toutefois, attendu que l’infraction à l’article 61 al. 1 let. b LPM se poursuit sur plainte (sauf si l’auteur agit par métier, article 61 al. 2 LPM), il est logique d’inclure la falsification de marchandises (article 155 CP) dans la plainte. On relèvera également que le délai de trois mois à compter du jour de la connaissance de l’auteur de l’infraction pour déposer plainte, tel qu’il est prévu par l’article 29 CP, n’est pas applicable en pratique, puisque l’AFD ne retient les objets illicites que vingt jours ouvrables au plus (article 72 al. 2 et 2bis LPM), le Bureau central les retenant quant à lui trente jours. Enfin, tant l’article 155 CP que l’article 61 al. 1 let. b LPM ne trouvent application que si l’auteur a agi intentionnellement, soit à tout le moins avec dol éventuel. En d’autres termes, il suffit que l’auteur prenne le risque de commettre lesdites infractions et accepte ce risque pour que le caractère intentionnel d’une telle commission soit avéré.
Pour ce qui est de l’affaire commentée ci-dessus, le Ministère public a ordonné dans un premier temps la saisie conservatoire desdites marchandises, mais, deux semaines après, il a informé les plaignantes que leurs plaintes étaient classées, de sorte que la mesure conservatoire à l’encontre des objets illicites était levée, les plaignantes étant invitées à agir devant les autorités judiciaires civiles.
Sur recours des plaignantes à la Chambre d’accusation, celle-ci a estimé préalablement qu’à teneur de l’article 58 al. 1 CP, la procédure de confiscation (soit la saisie conservatoire, puis la confiscation proprement dite) peut être menée alors même qu’aucune personne déterminée n’est punissable, l’élément déterminant n’étant pas la culpabilité de l’accusé, mais bien la constatation de la commission d’une infraction et les objets ou les valeurs à confisquer. Par ailleurs, et c’est l’élément central de la décision de la Chambre d’accusation, les mesures provisionnelles peuvent consister aussi bien en des mesures ordonnées par le juge civil qu’en une saisie provisoire prononcée par la juridiction pénale. Qui plus est, lorsque les conditions de l’article 58 CP sont réalisées (ce qui est le cas en présence de produits munis de signes imitant ou contrefaisant des marques qui risquent d’être commercialisés), l’autorité pénale doit (et non peut) prononcer la confiscation . L’ordonnance de la Chambre d’accusation (OCA/71/05) est publiée in sic ! 6/2006 p. 426.
4. Une fois que les objets ont été saisis puis confisqués, il convient d’en requérir la destruction. Selon l’article 58 al. 2 CP, le juge pourra (et non devra) ordonner que les objets confisqués soient mis hors d’usage ou détruits. Sur la base de la décision précitée, le Ministère public a, conformément au Code de procédure pénale genevois, requis de la Cour de justice la destruction des objets confisqués. Dans l’arrêt rendu par ladite Cour (ACJP/217/05, également publié in sic ! 6/2006 p. 426), il est mentionné que lorsque les conditions de l’article 58 CP sont réunies, l’autorité pénale a l’obligation de prononcer la confiscation des objets (ce qui ressort déjà de l’ordonnance de la Chambre d’accusation), mais également leur destruction. Ainsi, l’autorité pénale, déterminée selon la procédure cantonale, doit (et non peut) confisquer puis détruire les objets illicites.
5. En conclusion, il est important de savoir que la législation suisse en matière de propriété intellectuelle permet aux titulaires de marques de demander l’intervention de l’AFD pour retenir des objets illicites ; par ailleurs, le code pénal, complété en cela par les dispositions procédurales cantonales, contraint les autorités pénales à saisir à titre conservatoire, à confisquer, puis à détruire lesdits objets.
Laurent Muhlstein
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